Le souvenir du pardon solidifie une relation

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Le souvenir du pardon solidifie une relation

Faire l'impasse
Oublier une blessure est vain, se souvenir d’un pardon enrichit une relation. Pardonner consiste en la promesse que l’histoire peut continuer entre deux personnes. Les relations entre personnes sont complexes. La Bible s’en fait l’image.

En allemand, pour signifier qu’un conflit est terminé, on utilise l’expression vergeben und vergessen, «pardonné et oublié». La même formule existe en anglais forgive and forget, mais pour Beate Bengard, professeure à l’Université de Genève, associer pardon et oubli est contre-productif. «Souvent, on veut dire que la blessure initiale ou l’acte de transgression qui était à l’origine d’un litige a été complètement dépassé par le pardon.

Conflits inoubliables

Mais en fait, au contraire, oublier la divergence serait oublier le pardon.» Elle précise: «Le pardon, c’est une manière de traiter une problématique ou un conflit entre deux personnes qui s’est avéré tellement marquant qu’il ne peut pas vraiment être oublié. On aimerait bien que ça soit complètement dépassé, mais il y a beaucoup de conflits qui sont inoubliables. Ils font alors partie d’une identité et d’une biographie.» Ainsi, à un moment ou à un autre, la blessure initiale peut ressurgir. «Et à ce moment-là, il faudrait la confronter avec un autre souvenir, qui est la mémoire de pardon.» 

«J’ai une amie qui m’a dit: ‹le pardon, ça fait partie de l’amitié. L’avantage, quand on a une amitié de longue durée, c’est que l’on s’est déjà beaucoup pardonné. C’est une ressource pour la relation, parce que c’est avec la mémoire des pardons passés que l’on gagne la confiance de pouvoir surmonter de nouveaux conflits.›», relate Beate Bengard. «Le pardon est donc un acte performatif (un énoncé qui accomplit l’acte même qu’il énonce, NDLR). C’est la reconnaissance de sa responsabilité ou de son statut de victime. La reconnaissance qu’il s’est passé quelque chose qui n’aurait pas dû se produire et que ce quelque chose a laissé des blessures physiques ou émotionnelles. Et c’est aussi la promesse que cela ne devrait pas se reproduire», analyse la systématicienne. «Chacune et chacun se construit de manière relationnelle. Si j’ai un contact, un lien, avec quelqu’un, plus ou moins tout ce que j’ai vécu avec cette personne est toujours présent. Le conflit, bien qu’il ait été dépassé, ne disparaîtra pas complètement.» 

Attention, toutefois, à ne pas tomber dans une forme d’excès dans la reconnaissance des responsabilités. «Le pardon, ce n’est pas un tribunal! C’est un nouveau départ. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de stigmatiser l’autre. Reconnaître les erreurs commises et qui en a été victime peut faire partie du processus, mais le pardon, c’est d’abord la reconnaissance d’une relation difficile et la promesse que l’histoire peut continuer entre les personnes. Il n’est même pas nécessaire que cette histoire soit partagée. C’est aussi possible qu’après avoir exprimé un pardon, les chemins se séparent, mais le pardon va marquer les esprits.»

Complexité reconnue

Le pardon revêt donc une forme de complexité. Est-ce quelque chose qui s’apprend au point que notre culture en ferait un impératif? «La tradition biblique et chrétienne est plus complexe. Il ne s’agit pas de pardonner à tout prix. C’est une tradition qui reconnaît une grande complexité dans les liens», rétorque Beate Bengard. Si Paul exhorte au pardon face aux communautés naissantes, la Bible relate aussi le pardon demandé par Jacob à son frère Esaü. Le cadet, qui a volé la bénédiction de son aîné, anticipe la colère de son frère, mais ce dernier est simplement heureux de le retrouver. Malgré cela, Jacob préfère poursuivre son chemin et ne reste pas avec Esaü. Le texte biblique semble insinuer que le pardon dans ce cas a besoin de distance.

Pour aller plus loin 

Beate Bengard recommande: 
La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, Paul Ricœur, Seuil, 2000. 
Condition de l’homme moderne, Hannah Arendt, Calman-Lévy, 2018. 
Christ est notre paix. Dialogue suisse entre réformés et mennonites, Commission de dialogue FEPS/CMS, 2009.

Beate Bengard, professeure associée en théologie systématique, Université de Genève